Mésusage de l’alcool

Une lettre-information de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) en France, datée du 11 août 2017, rappelle aux prescripteurs une série de données épidémiologiques et de pharmacovigilance.

L’étude pharmaco-épidémiologique conduite par le Cnamts, en collaboration avec l’ANMS et l’Inserm porte sur 213.000 patients traités en vie réelle par baclofène entre 2009 et 2015 : 80 % d’entre eux ont été traités à des posologies inférieures à 80 mg/jour, « sans problèmes ». La RTU de 2014 (recommandation temporaire d’usage) reste parfaitement d’actualité pour ces patients. Pour les patients par baclofène au-delà de 80 mg/jour l’ANSM met en exergue un risque plus élevé – par rapport à des médicaments traitant la dépendance à l’alcool avec autorisation de mise sur la marché (AAM ) – d’hospitalisation et de décès. Entre 75 et 180 mg/jour, ces risques d’hospitalisation et de décès sont respectivement augmentés de 15 % et de plus de 50 %. Au-delà de 180 mg/jour, les risques d’hospitalisation et de décès sont majorés pour atteindre respectivement 46 % et 127 %. La lettre de l’ANMS se termine par la considération suivante : la prescription et la délivrance de baclofène hors AMM et hors RTU restent possible sous la responsabilité du médecin.

La Société Française d’Alcoologie (SFA), dans un communiqué du 2 août 2017, s’inquiète de l’application de la décision de l’ANSM aux patients bénéficiant actuellement de doses plus élevées (que 80 mg/jour), stabilisés dans leur consommation (abstinence ou consommation réduite) et en l’absence d’effet indésirable lié au baclofène. La SFA admet que les études récentes (Alpadir et Bacloville dont les résultats sont connus depuis le printemps 2017) sont discordantes concernant l’efficacité thérapeutique du baclofène et des doses nécessaires à son efficacité ; elle reconnait les bénéfices apportés par le baclofène lorsqu’il est utilisé de manière appropriée (schéma posologique personnalisé et suivi rapproché). La SFA rappelle les risques d’une réduction trop rapide ou de l’arrêt inopiné d’un traitement par baclofène : syndrome de sevrage, ré-alcoolisations, compensation anarchique par d’autres psychotropes tels les BZD.

Le CBIP en Belgique émet le 7 septembre 2017 un avis, à notre sens laconique et sans nuances : « Baclofène en prévention des rechutes chez les patients présentant une dépendance à l’alcool : rapport bénéfice/risque négatif » ; « le baclofène est à déconseiller dans le cadre de la prévention de la rechute des patients présentant une dépendance à l’alcool ». L’avis « bon à savoir » émis par le CBIP épouse le seul principe de précaution.

La cellule alcool de la SSMG et de nombreux alcoologues émettent les considérations suivantes :

• Jusqu’à 80 mg/jour (doses utilisées avec bénéfice clinique clair en neurologie depuis plus de 30 ans), le profil de sécurité est excellent compte tenu de contre-indications ou de mesures de prudence telles l’insuffisance rénale.
• L’effet anti-craving du médicament baclofène est établi cliniquement.
• Le pronostic des alcoolismes les plus sévères est très mauvais.
• Les études Bacloville et Alpadir, si elles n’ont pas rencontré leurs objectifs primaires, montrent néanmoins une efficacité sur les objectifs secondaires et notamment une réduction significative de la consommation chez les plus gros consommateurs (dont le pronostic est le plus sombre).
• Le médecin bien formé (notamment par le suivi des « modules de la cellule Alcool SSMG » ou du Certificat interuniversitaire en alcoologie) est à même de gérer les situations complexes et d’entamer des prises en charge où la dose de baclofène dépasse 80 mg/jour, compte tenu notamment des comorbidités, des autres médications, du profil de compliance de chacun des patients qu’il connait.
• Les cliniciens sont intéressés par la recherche d’un « phénotype » où l’intérêt clinique du baclofène serait plus particulier : par exemple chez des patients alcoolodépendants au profil très anxieux. Ce travail clinique en est à ses débuts.
• Le traitement par baclofène reste un traitement de seconde intention.
• En Belgique, le baclofène est prescrit « hors indication » donc sous la seule responsabilité du prescripteur ; le baclofène n’est néanmoins pas la seule molécule que nous prescrivons « hors indication ». Cette prescription hors indication n’est pas remboursée, le prescripteur veillera à mettre TPNA (tiers payant non applicable) sur l’ordonnance (electronique ou pas).