Article publié le 28/05/2021

L’humour comme arme de communication

Certains d’entre vous ont vu passer il y a quelques mois l’affiche « Sauve qui veut », réalisée par Philippe Geluck au moment où on observait un net relâchement dans l’application des gestes barrières. Cette affiche didactique mettait en scène le célèbre Chat, masqué, qui nous rappelait les gestes barrières en faisant passer avec humour le message « Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour moi ». Forte de son succès en Belgique francophone, cette affiche a ensuite été traduite en néerlandais et a même dépassé nos frontières pour être utilisée par la France.

Ce que l’on sait moins, c’est que cette affiche a été réalisée à l’initiative du Dr Gaël Thiry, médecin généraliste à Lasne, membre actif de la SSMG depuis 2005 (pour laquelle il est souvent modérateur lors des Entretiens notamment) et Président du Cercle des MG deLasne-Rixensart-La Hulpe. C’est également lui qui a initié et coordonne encore le centre de testing de cette région. On ne peut donc pas dire que, entre sa patientèle (toujours plus exigeante, nous y reviendrons), un centre de testing qui ne désemplit pas, la Présidence du Cercle des MG et sa famille, le Dr Thiry soit désœuvré. Que du contraire, comme la majorité de ses confrères, il est au bord de l’épuisement à tous niveaux. Mais qu’à cela ne tienne, il a encore trouvé l’énergie nécessaire pour solliciter Philippe Geluck pour la réalisation de cette affiche. Puis a contacté Pierre Kroll pour la réalisation d’une seconde affiche, « Un peu de respect », sortie tout récemment.

Dr Thiry, pourquoi avoir pris l’initiative de solliciter ces dessinateurs, très prisés et bien connus du public ?

« Vous savez, au début de cette pandémie il y a un an, les médecins généralistes étaient (et sont encore toujours d’ailleurs) en première ligne, avec les manques que l’on connait : pas d’équipement de protection, pas de traitement efficace face à un virus dont on ne savait alors pas grand-chose. Dans cette situation apocalyptique, les messages adressés par les politiques étaient complexes et pas toujours clairs ni compris par la population. Le manque de communication de nos autorités et le changement perpétuel des consignes sanitaires à suivre ont soulevé pas mal d’incompréhension chez les gens. Les généralistes, pourtant en 1ère ligne depuis le début, n’ont malheureusement pas été inclus dans la prise de décisions. Plutôt que d’adopter un ton moralisateur et d’infantiliser les gens, je me suis dit qu’il était temps de faire passer les messages de manière visuelle et sur le ton de l’humour. J’ai donc contacté Philippe Geluck qui, avec la générosité qu’on lui connaît, à tout de suite accepté de prêter son Chat au jeu, avec le succès que l’on connaît. Mais j’avoue que je n’ai pas ménagé mes efforts pour mener ce projet à bien, pour trouver des sponsors pour la faire imprimer, la faire connaitre et la distribuer, etc. Mais l’important est que j’ai tenu mon pari et que le message est passé … et de manière positive ! »

Et pour l’affiche « Un peu de respect ! » dessinée par Pierre Kroll, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre l’initiative de faire appel à lui ?

« Au début de la crise COVID, les soignants, quel que soit leur métier, étaient des héros qu’on applaudissait tous les soirs avec enthousiasme à 20 h. Nous n’en demandions pas tant car, si nous n’avons pas compté nos heures ni nos efforts, si nous avons composé avec une situation sanitaire compliquée et pleine d’inconnues, sans matériel de protection, nous l’avons fait car c’est notre vocation première de soigner les gens ! Partout en Belgique, mes confrères se sont investis sans compter mais les autorités n’ont jamais jugé utile de consulter les médecins généralistes, alors que nous étions en première ligne depuis le début ! Au contraire : déjà soumis à une pression incroyable, on nous a ensuite surchargés de tâches administratives pour lesquelles nous n’avions aucune plus-value … et qui nous éloignaient encore un peu plus de notre vocation première, soigner les gens ! Puis l’apparition des consultations téléphoniques a changé la donne. Outre le fait que beaucoup de nos patients n’osaient plus venir au cabinet par peur d’être contaminés, ce qui a entraîné l’apparition de complications par manque de prise en charge, le fait de « consulter » à distance a complètement déshumanisé la relation patient-médecin traitant. Tout devait être fait par téléphone ou par mail, nous devions presque être disponibles 24h/24 pour répondre à des patients devenus de plus en plus pressés, impatients et exigeants. Les confinements successifs ont ensuite rendu les gens de plus en plus individualistes et les consultations téléphoniques les ont complètement déséduqués … pour arriver à la situation que l’on connaît actuellement. Tous les confrères avec qui je suis en contact, de près ou de loin, ressentent la même chose : ils sont fatigués, voire même quasiment en burn-out pour certains, et demandent à pouvoir exercer leur métier en étant respectés par leurs patients. »

C’est donc ce manque de respect de patients rendus super individualistes par la crise COVID qui vous a poussé à prendre la parole à nouveau ?

« Tout à fait. Je reste convaincu que le manque de communication ou une communication trop directive braque les gens par rapport à une situation qu’ils ne comprennent ou ne perçoivent pas. J’ai donc pris l’initiative de communiquer à ma manière pour faire prendre conscience à nos patients que leurs médecins traitants sont aussi des êtres humains, qu’ils sont épuisés, que leur métier n’est absolument plus valorisé et qu’ils demandent un minimum de respect de leur part.

J’ai donc contacté Pierre Kroll, que je ne connaissais pas personnellement mais dont j’ai toujours adoré les dessins si justes et incisifs. Il me paraissait être la personne la plus indiquée pour mettre en image cet appel au secours des médecins généralistes. Il a été adorable et a tout de suite accepté de faire ce dessin pour sensibiliser les patients … et soutenir leurs soignants. Comme toujours, Pierre Kroll a parfaitement interprété et « rendu » la situation, et je ne le remercierai jamais assez d’avoir mis si généreusement son talent au service des soignants. »

Pensez-vous réellement que vous allez changer les choses et aider les généralistes en ramenant de l’humain dans la MG grâce à un dessin ?

« Mais je l’espère ! Il faut arriver à ramener la médecine générale à son essence : soigner les gens. Nous devons pouvoir nous focaliser à nouveau sur notre vrai métier, là où nous avons une réelle plus-value en tant que soignant, et non sur de l’administratif … ou répondre aux exigences de personnes toujours plus pressées : pressées d’avoir un test et son résultat à temps pour pouvoir partir en vacances, de vous avoir en ligne pour exiger d’être mis sur la liste des prioritaires à la vaccination (alors qu’il n’y a aucune raison qu’ils y soient) ou de pouvoir bénéficier du vaccin souhaité par eux plutôt que l’AstraZeneca, … Il est d’autant plus important en ce moment que les médecins généralistes arrivent à retrouver une pratique normale que les gens vont être de plus en plus fragilisés par une crise qui, à mon sens, ne fait que commencer au niveau économique et social, avec son lot de dépressions, de burn-out …

Et puis, comment continuer à soigner correctement nos patients si nous sommes nous-mêmes à bout ? Jusqu’ici, nos familles, nos conjoints et nos enfants nous ont soutenus dans l’ombre et supportent (encore pour l’instant) le fait de nous voir rentrer tard le soir, épuisés, de ne pas être présents le week-end car nos patients, les centres de testing ou de vaccination ont besoin de nous… Nos proches comprennent notre vocation mais il serait bien que notre métier soit revalorisé officiellement. Vous savez, je serais curieux de connaitre le nombre de burn-out survenus parmi les généralistes suite à la crise COVID… Nous étions déjà en surcharge de travail avant et les choses ne vont pas s’améliorer de sitôt ; je crains terriblement l’approche de l’été et l’affluence de patients qui devront faire un test avant de partir en vacances. Un généraliste n’a aucune valeur ajoutée dans la réalisation d’un test et perd énormément de temps dans la gestion administrative qui y est liée ….alors que nous avons des patients à soigner ! Je pense qu’il faudrait que les médecins généralistes puissent avoir une discussion collégiale sur le numerus clausus car il est temps que les autorités prennent conscience des conditions de travail extrêmement éprouvantes auxquelles doivent faire face les généralistes, trop peu nombreux actuellement pour pouvoir répondre à la demande des patients, a fortiori en période de pandémie. Il faudrait également que nous puissions avoir une discussion de fond sur la médecine générale et arriver à revaloriser notre métier de médecin de famille, dans lequel la confiance et la relation patient-médecin est primordiale. Nos patients ont besoin de nous et cette montagne d’administratif en tout genre nous épuise et renvoyer les gens chez leur généraliste pour avoir une demande de test avant un départ en vacances est la goutte de trop… »

Ariane Peters

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