
15/11/2023
Mise à jour : notre webinaire sur les PFAS du 23/11/23 et d’autres infos pertinentes sont consultables sur cette page.
Recevant de multiples demandes d’informations de nos confrères et consœurs médecins à ce sujet, nous avons décidé de vous faire parvenir quelques informations. Notamment, dans le but que vous puissiez répondre aux questions de vos patient·es et faire la part des choses entre ce qu’on entend dans les médias, ce qu’en disent les politicien·nes et l’état des connaissances scientifiques en la matière.
En effet, ce mercredi 8 novembre a été diffusée l’émission télévisée Cash Investigation : Polluants éternels, le silence coupable à propos de la présence de composés chimiques appelés PFAS que l’on retrouve notamment dans l’eau du robinet dans de nombreuses communes en Belgique. Il est normal que les citoyen·nes soient inquiet·ètes et posent des questions à leur médecin généraliste.
Qu’est-ce que les PFAS ? Sont-ils un danger pour la santé ?
Les PFAS (ou per- et polyfluoroalkylées) sont des composés issus de l’industrie chimique qui font partie des perturbateurs endocriniens. Les PFAS ont la particularité d’être très persistants dans l’environnement et le corps humain, ils ont un temps de demi-vie de plusieurs années. Cela signifie qu’une fois accumulés dans le corps humain, même si on arrête d’y être exposé·es, ils vont rester plusieurs années dans nos tissus avant d’être éliminés.
Oui, ils sont dangereux pour la santé comme le rappelle la Professeure Corinne Charlier, cheffe de service de toxicologie clinique du CHU de Liège, dans un excellent article récent de la RTBF qui nous en dresse une liste non-exhaustive :
« Anomalie du fonctionnement de la thyroïde, augmentation du taux de cholestérol, fatigue du foie, cancers du rein ou des testicules. Mais aussi cancers du sein, hypofertilité et augmentation du risque de fausse couche« , donc « des risques particulièrement importants pour la femme en âge de procréer« , précise-t-elle. Cela concerne aussi les enfants et le développement du fœtus, ajoute-t-elle : « on observe une diminution de la réponse vaccinale chez les enfants qui mettront plus de temps à fabriquer des anticorps ainsi que des effets sur les bébés qui naitront avec un poids plus faible à la naissance« .
Que peut-on faire en tant que médecin généraliste ?
- Ne pas minimiser la situation, ce serait contraire à ce que la science nous montre. Nous sommes devant un gros problème de santé publique.
- S’informer sur docteurcoquelicot.com et référer vos patient·es vers ce site ou leur transmettre les fiches/carnet/articles. C’est important pour lutter contre la désinformation et les tentatives de minimisation du problème. Les lobbies des produits chimiques dépensent des sommes colossales à cela.
- Prendre part avec les citoyen·nes de votre commune à une discussion avec le·a bourgmestre pour exiger une totale transparence des résultats des analyses à partir de maintenant pour tout ce qui est analysé (pas seulement quelques PFAS). Exiger que des analyses par un laboratoire sans conflit d’intérêts aient lieu dans votre commune. Une absence de mesures (points sur une carte) ne veut pas dire qu’il n’y a pas de pollution mais simplement qu’il n’y a pas eu d’analyse… Demandez au·à la bourgmestre de faire remonter à la région wallonne les exigences de la population.
- Affirmer clairement sa position dans la problématique des produits chimiques et de leurs effets sur la santé en commençant par signer cette lettre.
Faut-il faire une prise de sang ?
Il peut être utile de faire doser les PFAS dans un échantillon de sang pour détecter les patient·es dont la concentration sanguine est supérieure voir très supérieure aux concentrations de la population générale non particulièrement exposée. Une analyse sanguine a plus d’intérêt pour les patient·es situé·es près des « hotspots » et s’il s’agit de populations à risque tel que les femmes en âge de procréer, les femmes enceintes ou allaitantes, les jeunes enfants… Il faudra insister, chez ces patient·es en particulier, sur les mesures pour diminuer leur exposition au PFAS.
Selon nous, ces patient·es devraient bénéficier d’un réel suivi médical avec recensement : troubles hormonaux (thyroïdiens, sexuels), métaboliques (diabète, dyslipidémies…), impacts à la naissance (prématurité, cryptorchidie, puberté précoce, malformations), troubles neurologiques, fonction rénale et hépatique, paramètres hématologiques.
Voici les coordonnées d’un laboratoire prenant en charge ces analyses avec la liste des prix et des explications.
Comment s’en protéger, diminuer son exposition ?
La cellule Environnement alerte depuis plus de 20 ans sur le véritable problème de santé publique que représentent les perturbateurs endocriniens (PE) que l’on retrouve un peu partout dans notre quotidien.
Il existe plusieurs familles de PE comme les bisphénols, les phtalates, les parabènes, les composés bromés, perfluorés, alkylphénols… Dans chacune de ces familles, on retrouve des centaines voire des milliers de substances. Par exemple, il existe plus de 4.000 PFAS différents. Les PFAS ne sont donc que l’arbre qui cache la forêt. Il est important de comprendre qu’il faut minimiser son exposition et surtout celle des populations vulnérables à l’ensemble des PE et de ne pas se focaliser sur une substance en particulier.
Vous trouverez toutes les informations qui vous seront utiles sur notre site Docteur Coquelicot ou sur la page de la cellule Environnement sur ce site.
Plus particulièrement :
- une fiche récapitulant les caractéristiques des perturbateurs endocriniens pour vos patient·es
- un livret à l’intention des patient·es expliquant, en pratique, que faire pour diminuer son exposition
- un article plus spécifiquement sur les PFAS
- un e-learning sur les perturbateurs endocriniens accrédité pour les MG
Filtrer son eau : une bonne idée
Oui, en effet, filtrer son eau avec un filtre efficace réduit considérablement le nombre de polluants dans l’eau et leurs concentrations. Les filtres au charbon actif dans lesquels l’eau passe au travers de la cartouche sont plus efficaces (filtration + adsorption) que de simplement mettre des bâtonnets de charbon actif dans une carafe. Attention à bien changer le filtre quand il le faut, et à ne pas être faussement rassuré·e parce qu’on filtre l’eau qu’on boit car comme dit plus haut, il y en a partout dans notre quotidien. De plus, les filtres coûtant cher, c’est un vrai problème de justice sociale. Il faut surtout se battre pour diminuer la présence de polluants partout autour de nous dans nos vies (voir fiches sur le site docteurcoquelicot.com).
A titre d’exemple, voici une fiche des performances de filtration d’un filtre efficace (Berkey).
Prenons un peu de recul : notre avis
La page FAQ de la région wallonne pour les PFAS essaye surtout de nous faire croire qu’il s’agit d’une pollution isolée à certains endroits en particulier, momentanée et qui est sous contrôle en disculpant la ministre Tellier de toute responsabilité.
Premièrement, on y lit que la ministre est au courant depuis deux ans que ce polluant dépasse les « normes ». On se demande donc pourquoi il a fallu qu’une enquête journalistique dévoile le scandale deux ans plus tard pour que la population (et les médecins) soit mise au courant.
Ensuite, vous lirez partout via la région wallonne et la Société wallonne des eaux (SWDE) que l’eau « est potable en Wallonie et peut être consommée sans modération » et que sa qualité est très contrôlée. Pourtant, ce récent scandale nous rappelle que l’on ne trouve que ce que l’on cherche et que l’on ne cherche que ce que l’on connait… L’eau est jugée potable tant qu’elle respecte les « normes européennes » établies pour les substances que l’on veut bien chercher. C’est là tout le problème. De façon générale, il existe beaucoup trop de substances chimiques et leurs métabolites pour que l’on puisse toutes les rechercher. Beaucoup trop peu de substances, sans compter celles que l’on ne connait pas, sont règlementées. Quand il existe une norme, si elle est dépassée, ils vont commencer par diluer l’eau avec une autre eau pour repasser en dessous des seuils règlementaires : « dilution of the pollution is the solution ». Cela permet de respecter les règles mais n’est en réalité qu’une dispersion des produits chimiques… et douteux d’un point de vue éthique, vous en conviendrez.
Il n’y a pour l’instant aucune norme en Belgique sur le seuil des PFAS dans l’eau potable. La règlementation entrera en vigueur en 2026 et stipule qu’il ne faut pas dépasser 100 nano grammes/L d’eau pour un ensemble de 20 PFAS. Plusieurs pays ont décidé au niveau national d’abaisser ces normes, drastiquement. Par exemple, aux États-Unis, l’Agence de protection environnementale (EPA) a fixé mi-mars à 4 ng/L la limite pour deux perfluorés dans l’eau potable (tout dépend du nombre de PFAS que l’on prend en compte dans ses normes). D’un point de vue scientifique, il est maintenant admis, comme pour la présence de composés carcinogènes, qu’il n’y a pas de seuil ! Ces substances agissent déjà à des concentrations extrêmement faibles.
Pour finir, les PFAS attirent l’attention dans les médias pour l’instant mais comme expliqué plus haut, il y a d’autres familles de PE et d’autres polluants. Bien sûr, ces polluants sont aussi présents dans notre nourriture, l’air que l’on respire et nos cosmétiques. Cependant, l’eau « potable », qu’elle soit du robinet ou en bouteille (aussi puisée dans nos nappes phréatiques), est symbolique car nous la buvons tous·tes et tous les jours. De plus, elle sert à la préparation des aliments ou de base aux boissons que l’on achète. Impossible donc de ne pas la consommer. Elle est le reflet de nos modes de vie. En conséquence, l’eau que nous buvons contient aussi des particules de microplastiques, de nombreux PE, de nombreux pesticides, de nombreux résidus de médicaments (diclofénac, carbamazépine, tamoxifène…) et sous-produits de chloration cancérigènes. Le problème est bien plus large que certains PFAS dans quelques villes.
Au niveau juridique : le rôle de l’Etat
La convention d’Aarhus, signée par la Belgique, stipule : « afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque Partie (les pouvoirs publics) garantit les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement ». C’est donc l’Etat qui a l’obligation de garantir à tous·tes l’accès à l’information sur l’environnement.
A côté des scientifiques, l’Organisation des Nations Unies dont le but est le maintien de la paix et la sécurité internationale, a adopté une résolution le 28 juillet 2022. Cette résolution rappelle que « le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains » depuis la résolution du conseil des droits de l’homme du 8 octobre 2021. De plus, elle considère que « la dégradation de l’environnement, les changements climatiques, la perte de biodiversité, la désertification et le développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves qui pèsent sur la capacité des générations actuelles et futures d’exercer tous les droits humains de manière effective ».
Nous devons donc nous battre pour faire respecter nos droits les plus fondamentaux.
Nous avons l’obligation légale d’informer nos patient·es
A côté de nos interrogations pour la santé de notre propre famille, nous avons l’obligation légale et le devoir moral d’informer nos patient·es. En effet, la loi du 22 août 2002, relative aux droits du patient, nous dit : « Art.7 §1er : Le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à toutes les informations qui le concernent et peuvent lui être nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable ». Or, les effets de l’environnement sur la santé ne sont plus à prouver.
Il est donc urgent que les médecins prennent leurs responsabilités et s’engagent sur ces questions ; n’avons-nous pas juré, selon le serment d’Hippocrate, que « dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible » ?
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